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Alia Cardyn "L’envol" PDF

Alia Cardyn "L’envol" PDF
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Attirer l'attention

C PROLOGUE 27 juillet 2014 E SOİR, ils sont cent à la fête donnée par Barnabé Quills. Alors que les plus audacieux, allongés sur l’herbe ou appuyés contre un arbre, embrassent leur prochain amant, la plupart sont sur la piste de danse. Par instants, les faisceaux lumineux éclairent leurs corps parfaits, chaque forme fine collée à un buste ferme. Ils se meuvent au son des basses, lèvent les bras et le spectacle de ces mains tendues vers le ciel échauffe encore la foule. Sublimes, ils scandent le rythme et ne forment plus qu’un. Des mouvements en cadence car ici comme dans la vie, ils vivent à l’unisson. Ils ont toujours été un, adolescents, enfants et même avant d’avoir existé, leurs parents n’étaient qu’un et leurs grands-parents avant eux, le poids des générations les poussant vers cette union que nul ne peut refuser. Dans leur berceau douillet, au milieu des broderies ton sur ton, ils savent déjà. Ils babillent, hypnotisés par un mobile aux couleurs pâles, mais ils babillent élégamment. Élevés dans la petite ville côtière de Black, ils grandissent en regardant cette mer folle, seule rébellion apparente dans une existence exemplaire. Comme chaque année, à onze heures, ils se pressent pour admirer le feu d’artifice, enlacés à leur conquête du jour. Lui vient de la quitter. Cette soirée devait être la leur, mais c’est seule qu’elle parcourt le velours rouge qui mène les invités de la somptueuse demeure au jardin suspendu audessus de l’eau. Ce fait pourrait passer inaperçu. Finalement, une rupture n’est-elle pas banale pour tous ceux qu’elle ne concerne pas ? Pourtant, quelques-uns la suivent du regard.

Ici, une séparation n’est pas le lot des seuls amoureux, elle appartient à chacun. Un couple se brise et c’est toute la toile que l’on s’empresse de tisser à nouveau. Le regard rivé sur l’eau au loin, la jeune fille avance avec grâce et détermination. Elle ne semble pas remarquer ceux qui l’observent. Tout en accélérant le pas, elle replace sa coiffure d’un geste de la main et baisse la tête. Alors, seulement, ils se tournent vers l’attraction suivante. Les convives se rapprochent, passent un bras sur une épaule, sourient à l’être aimé. En silence, ils lèvent les yeux, prêts à être une nouvelle fois soufflés par un panorama en furie. Depuis ce point surplombant l’océan, le spectacle des explosions colorées est sensationnel. Non seulement, les dessins lumineux se forment dans la nuit étoilée, mais ils viennent mourir dans l’eau, toile aux mille touches, scène troublante que cet horizon en constante conversion. Ce soir, ils étaient cent à s’émerveiller dans ce décor de rêve. Cent à lever les bras telle une forêt vibrante balayée par les spots lumineux, cent à être happés par l’énergie électrique d’une foule en délire, cent à célébrer, comme chaque 27 juillet, la légende de Black. Le feu d’artifice s’élève maintenant en une chorégraphie minutieusement agencée. Le ciel convoque l’attention de tous et personne ne voit celle qui a commencé à courir, débarrassée de ses escarpins précieux. Soudain, l’un d’eux échappe à la transe commune et l’aperçoit.

Il pousse un cri et les autres cherchent, avant de la repérer aussi. En quelques secondes, le spectacle lumineux est délaissé au profit d’un autre. Tous les regards convergent désormais vers celle qui court pieds nus devant eux sur cet aplomb de terre. Les plus optimistes s’élancent dans sa direction. En mocassins élégants, ils dérapent sur le gazon humide et déploient leurs bras pour éviter la chute. C’est une scène aussi tragique que cocasse que de voir ces gentlemen lutter pour leur équilibre dans une course au ralenti. Ils persévèrent, mais elle est déjà loin. La soie bleue lumineuse glisse sur l’herbe et enveloppe ses mouvements. Une brise se lève, gonfle l’étoffe de sa robe et transforme cette course fatale en un étrange ballet. Quelques mètres seulement la séparent encore du vide, de la chute, de sa fin. Tous ont saisi la scène qui se joue sous leurs yeux, celle d’une souffrance si grande que seule la mort peut l’apaiser. D’un geste souple, telle une athlète qui s’apprête à battre un record, elle pousse sur son pied, le dernier à terre, et décolle dans la nuit. Un instant, elle semble voler, le doigt tendu vers les cieux, proche de toucher l’artifice en déclin. Impossible de détourner le regard de la silhouette bleue, de cette chevelure blonde qui résiste quelques secondes à la gravité. On espère en vain parce que l’espoir est tout ce qu’il nous reste devant ce spectacle terrible.

Chacun retient son souffle, les mains se crispent autour d’un bras, d’une taille, de tout ce qui rappelle l’humanité. Ils étaient cent ce soir, mais maintenant Théa a sauté. PARTIE I Le 27 juillet 2010 Quatre ans plus tôt « On est de son enfance comme on est d’un pays. » Antoine de Saint-Exupéry Légende de Black Avant, il n’y avait rien. Aujourd’hui, il y a tout. Nous avons tout. Et ce tout contient une liberté infinie. De rester ici ou de partir. De naître, de grandir, de mourir. De marcher longtemps, de s’arrêter, de pleurer, de crier, de rire aussi. Si avec le temps, votre être s’est figé, le 27 juillet vous offre une opportunité. Celle de naître à nouveau. C’ 1 Le journal de Théa EST DÉSORMAİS İNÉLUCTABLE. Pour vivre, je dois vous raconter mon histoire. J’ai pourtant tenté de contenir tout cela.

Tant de fois, j’ai essayé de m’en distraire, de me ressaisir, de tenir bon. Avec le temps, tout passe. Sauf que non. Pas ici. Avec le temps, je deviens folle et je ne peux plus l’ignorer. Je dois parler, prononcer les mots à voix basse pendant que ma main gauche s’active à les coucher sur le papier. J’ai retrouvé ce journal, cadeau de mon père, une énième tentative d’agir comme un parent ordinaire et d’offrir à son adolescente le confident nécessaire. Comme pour tous ses présents, il a atterri dans le placard du dressing, glissé entre une écharpe rouge vif et un roman historique. C’est le sort que je leur réserve. Sourire poliment, dire merci puis enterrer le cadeau avec les autres. Que mon père n’ait jamais remarqué mon manège ne me surprend qu’à moitié. Pour comprendre, il faut le connaître. Il faut connaître notre histoire. N’est-ce pas toujours ainsi ? Le jugement naît de l’ignorance. L’autre est ce mystère qui peut être élucidé par un récit.

On juge et on croit tout savoir jusqu’à ce que l’émotion surgisse. Parfois, j’imagine un monde où nous nous baladerions tous avec notre histoire à la main, qui expliquerait nos choix, nos actes. La vie serait sans doute plus simple si nous comprenions l’autre, car en dépit de nos différences, nous sommes tellement semblables. Voici donc mon histoire, celle qui explique qui je suis. Ou plutôt celle que je suis devenue. Longtemps, j’ai songé que ma seule issue était d’abandonner et de me fondre parmi les autres, petit automate incapable d’exister autrement. Puis, il y a eu ce moment, ces quelques secondes qui changent tout. La grâce n’a besoin que d’un instant pour faire son œuvre. Elle se matérialise dans un souffle, un regard, un baiser. Une seconde pour que la vie prenne ce tournant aussi violent qu’essentiel. Je m’apprêtais à devenir une ombre quand soudain, il m’a été possible d’être moi. Lentement, il effleure mon bras. Ses doigts glissent de mon épaule à mon coude pour saisir enfin mon poignet. Ses yeux fixent l’écusson brodé de mon pull d’uniforme, une façon sans doute de se donner du courage. Son pouce caresse maintenant ma main avec une douceur désarmante.

Je l’observe, en proie à ses hésitations. J’ai envie de l’aider, de presser sa main dans la mienne, d’avancer ne fût-ce que d’un millimètre, de lui offrir n’importe quel signe d’encouragement, mais je reste immobile. J’ai toujours été comme cela dans les moments importants. Statique, figée, glacée. Il fait trembler mon existence et moi, je suis incapable de bouger. C’est ce baiser qui m’a convaincue d’essayer. Même s’il n’existe qu’au creux de la nuit, dans un rêve dont le réveil m’a lavée, c’est ce baiser qui me porte. Et la vie pour moi commence ici, avec mon histoire. M 2 Le 27 juillet 2010, 7 heures 30 ADELEİNE SE PRESSE autour du lit de Théa. — Théa, il est temps de te lever ! répète la gouvernante. Pour toute réponse, la jeune fille se retourne, contraignant Madeleine à faire le tour du lit. Pour une raison bizarre, il lui est plus facile de s’adresser au visage de Théa, même endormi, qu’à son dos. — Ce n’est pas une blague. Il est sept heures passées ! insiste-t-elle, agacée. Madeleine se gratte l’arrière de la tête.

Comment parvenir à la sortir de son lit ? Ce n’est pas comme si elle manquait d’expérience. En vingt ans de services, elle en a eu des défis à relever ! Pourtant, elle est prise de ce léger tremblement, celui qui annonce que le calme l’abandonne. Cette satanée main gauche qui tressaille, ça la prend à chaque fois qu’elle est nerveuse. Pour dissimuler cette faiblesse, elle glisse sa main dans la poche de son tablier. Ce n’est pas comme si c’était sa seule tâche de la journée ! Monsieur Vogue va encore dire qu’elle traîne, que l’âge la ralentit et toutes ces bêtises qu’il dit à voix basse, croyant ces mots cinglants hors de sa portée. Mais celle qui brique entend tout. Les murs ont beau être épais, le parquet et les hauts plafonds font leur office, portant les mots plus loin que nécessaire. Alors, elle continue de frotter, un peu plus fort sans doute, pour évacuer la colère qui la gagne. Madeleine sait que cet homme-là a besoin de critiquer, elle a bien compris qu’il fallait que quelqu’un endosse le rôle de bouc émissaire et qu’il lui revient en plus de tous les autres. Elle est à son service après tout. Pour cela autant que pour le reste. Et le fait d’avoir torché les fesses de son enfant, essuyé ses bêtises, nourri, lavé, consolé n’y changera rien. Pas une seconde il ne se demandera si Madeleine ralentit vraiment ou si c’est un exutoire à sa frustration. Même si elle connaît les règles du jeu, elle reste sensible à ces plaintes injustes. Alors, elle s’inquiète devant Théa qui ne bouge pas.

Elle s’interroge sur les limites. C’est vrai au fond, jusqu’où est-elle autorisée à aller pour accomplir sa mission ? Arthur Vogue n’a lancé qu’un vague : Allez réveiller Théa, voulez-vous ? Elle devrait être debout depuis longtemps !
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